Rémy Armand Alcide Leclercq (1877-1940)
Personnage légendaire de la Préfecture de Police, l’agent Rémy Armand Alcide Leclercq – né en 1877 – entre au service de la police parisienne fin 1918. Arrivant en droite ligne du front, ce valeureux combattant d’une unité de réserve est titulaire de la croix de guerre et de deux citations pour actes de bravoure. Blessé à plusieurs reprises au cours de la Première Guerre mondiale, en secourant des camarades, l’agent Leclercq incorpore donc la police parisienne au titre des emplois réservés
Affecté vers 1920 à la « Compagnie des Voitures » – ancêtre des actuelles compagnies de circulation – il a en charge la régulation du trafic automobile des grands boulevards, au niveau de la Porte Saint-Denis. Habitué de ce quartier du 10ème arrondissement de la capitale, c’est un secteur qu’il affectionne particulièrement. Il s’acquitte de sa mission avec beaucoup de ferveur et de gentillesse. Très rapidement, la renommée de ce gardien de la paix dépasse largement le ressort de la seule capitale. Les badauds se pressent pour le voir régler la circulation, bâton blanc à la main et sifflet à roulette entre les lèvres. Il est vrai que le travail ne manque pas. En cette période, la circulation automobile commence à prendre son essor et les feux tricolores n’existent pas encore. De fait, les carrefours sont continuellement encombrés par des véhicules automobiles, autobus et voitures à chevaux.
Le gardien de la paix Rémy Leclercq, matricule 2009, avec son épaisse barbe rousse de près de trente centimètres, ses longues moustaches tombantes et ses médailles militaires épinglées sur la poitrine est, à lui seul, un personnage de caricature. En principe, le règlement intérieur de la préfecture de Police n’autorisait pas le port de la barbe pour les policiers opérant en uniforme. Seul les moustaches (bien taillées) étaient alors tolérées. Mais, compte-tenu de son brillant passé militaire, l’administration va lui accorder une dérogation exceptionnelle. A la condition express qu’il accepte de raccourcir sa barbe, laquelle, avant son recrutement, lui arrivait pratiquement au niveau des genoux… Les Parisiens ne tarderont pas à lui donner un sobriquet, celui de « Vercingétorix » !
Si l’on ajoute à cela un dévouement sans borne au service de la population et une efficacité certaine dans les missions confiées, nous avons tous les ingrédients susceptibles d’en faire une figure populaire. Les curieux viennent de très loin pour admirer cet étrange gardien de la paix et son bâton blanc. De même, il est fréquent que profitant d’une pause, l’agent Leclercq dispense bénévolement auprès des habitants du quartier de précieux conseils. Il est ainsi consulté régulièrement, notamment pour des conflits mineurs de voisinage, et devient pour la circonstance, une sorte de juge de paix officieux…
Sa popularité est telle – au cours des années vingt – que les marchands de souvenirs commercialisent – avec succès – des miniatures en forme de statuettes de cet incroyable agent de police. Ainsi, à cette époque, l’effigie de l’agent Leclercq – statufié de son vivant- se balance aux rétroviseurs des voitures, en guise de porte-bonheur ou de fétiche !
Autre facette de ce fonctionnaire hors norme : ses activités artistiques. En dehors du service, il occupe une grande partie de ses loisirs à la peinture. Rémy Leclercq exposera en de nombreuses occasions des toiles que les critiques de presse n’hésiteront pas à juger d’une : « solide qualité artistique. » Certains journalistes le compareront même au non moins célèbre douanier Rousseau.
Gaffe mortelle de certains plumitifs. Le 17 juillet 1928, le soleil cogne très fort sur la capitale. Malgré son képi, le gardien de la paix Rémy Leclercq va être victime d’une insolation sur son point de circulation. Conduit à l’hôpital, il sera admis en observation. Jusque là, rien de bien extraordinaire. Les choses se compliquent dans la soirée, lorsque plusieurs quotidiens (Petit Journal, Paris-Soir, Petit Parisien), annonceront son décès, se fendant même d’un vibrant et pathétique hommage funèbre. En fait, un « renseignement caviardé » avait été communiqué au Petit Parisien. Les autres journaux ont ensuite reproduit l’information sans même en vérifier la teneur ! Remis rapidement sur ses pieds, l’agent Leclercq reprendra son service deux jours plus tard. Les habitués du secteur sont sidérés de le voir vivant. Une brave concierge lui dira même :
– « Alors, ce n’est donc point vrai que vous êtes mort ? »
Le 18 mai 1936, Rémy Leclercq quitte son carrefour de la Porte Saint-Denis pour faire valoir ses droits à la retraite. Après seize années de bons et loyaux services, cette légende vivante se retire dans son village de Bacouel-sur-Selle (80). Il y décède en novembre 1940 et pour de bon, cette fois ! En cette occasion, il va faire les honneurs de la presse, comme en témoigne ce bref passage d’un petit article publié au sein d’un grand quotidien :
Un divorce bien parisien…
« L’agent Leclerc quitte la Porte Saint-Denis
après 16 ans de fidélité sur les boulevards ! »
Au sein de la population, la consternation est de mise. L’une de ses innombrables admiratrices écrira ce poème qui lui sera offert le jour de son départ en retraite :
« De ton départ, affectée,
fuyant la puissance de tes charmes,
il me reste, pauvre abandonnée,
que des larmes pour me consoler ! »
D’une santé fragile – du fait des séquelles laissées par ses blessures de guerre – il décède moins de quatre ans après sa mise à la retraite, laissant un souvenir impérissable. Paris va ainsi perdre son héros, mais il demeurera très longtemps dans la mémoire populaire. De génération en génération, son histoire sera contée, et ceux qui l’avaient connu en tiraient alors une grande fierté !
© Michel Malherbe