Samuel COLT

Samuel COLT

 » Dieu créa les hommes, Samuel Colt les rendit égaux… « 

(devise de S. Colt – 1850)

Samuel Colt est aux armes individuelles, ce que Wolfgang Amadeus Mozart à été à la musique classique : un véritable et éternel maître. Si la métaphore semble osée, le point commun entre ces deux grands personnages est leur incontestable génie. De très modeste condition, S. Colt fondera en quelques décennies un véritable empire industriel. Il deviendra ainsi l’un des géants de l’armement américain…

Né le 19 juillet 1814 à Hartford (Connecticut), il est le fils de Christopher Colt et de Sarah Caldwell. Le père est un modeste tisserand en soie installé à Ware (Massachusetts)  et cette famille de mormons – qui ne compte pas moins de six enfants – survit tant bien que mal. Pour ne rien arranger, le jeune Samuel n’a que six ans lorsque sa mère décède. Ce dramatique événement va influer grandement sur sa tendre enfance et sa période adolescente. Le jeune garçon aura à connaître très tôt les bienfaits du travail manuel. Lorsqu’il n’est pas à l’école, il est employé comme manœuvre dans une exploitation agricole, sorte de contrat en alternance bien avant l’heure ! Le peu qu’il gagne – bien que les six enfants de la famille Colt n’aient pas à connaître une enfance véritablement misérable, au sens exact du terme – représente un petit plus. Il est vrai que le petit commerce paternel va végéter durant de nombreuses années avant de connaître une embellie. La teinturerie et le tissage – comme bon nombre d’autres petits commerces de la bourgade de Ware – ne semblent pas révolutionner les foules. La grande ruée vers l’Or n’est pas encore d’actualité et tous ces gens vivent chichement de l’agriculture et de l’élevage bovin, principales ressources de la région !

Un turbulent génie…

Selon Henry Barnard – qui sera le tout premier biographe de Colt – la passion des armes à feu aurait habité Samuel Colt depuis son plus jeune âge. Dès ses sept ans, il se montre capable de démonter entièrement un pistolet et de le remonter tout aussi facilement ! Très bon élève, doué pour les sciences modernes, Sam intègrera quelques années plus tard l’Université d’Amherst. Parallèlement à ses études, il n’hésite jamais à aider son père à l’atelier de teinture, profitant alors de l’expérience paternelle pour recevoir des rudiments de chimie. Par contre, il est ce que l’on nomme pudiquement un garçon turbulent. C’est ainsi qu’il va réaliser dans le plus grand secret, une sorte de grenade sous-marine de faible puissance. Une fois l’engin réalisé, il convient de le tester. Nous sommes le 4 juillet 1829,  jour de la fête nationale, et la petite ville de Ware se prépare aux festivités. Les gens veulent du spectacle ? Ils vont en avoir ! La veille, le jeune Samuel a apposé en différents endroits des affichettes annonçant qu’en l’honneur de la fête nationale, il allait faire voler un radeau miniature au-dessus de l’étang… L’engin sera propulsé grâce à une charge explosive – composée de poudre noire – logée sous le radeau. La mise à feu sera assurée depuis la berge au moyen d’un accumulateur électrique relié à des fils aboutissant à un filament incandescent placé au centre de la poudre. Une grande partie de la population est donc massée autour de cette grande mare située à l’entrée du village, pour assister à cette expérience peu conventionnelle. 

Comme c’est jour de fête, les dames portent de jolies robes d’un blanc immaculé et sont coiffées de magnifiques chapeaux. Les hommes ont sorti de la naphtaline les complets et redingotes du dimanche. Samuel Colt est prêt. Le petit radeau est maintenant au centre de la mare. Il branche les fils de mise à feu. Rien ne se produit ! Par contre l’embarcation poussée par un petit vent malin part à la dérive, en se rapprochant dangereusement de la berge opposée. A quelques mètres du bord, l’engin, qui semble avoir fait long feu, explose enfin ! Un énorme geyser de vase bien nauséabonde retombe sur les spectateurs. De blanc, les jolies robes de ces dames sont devenues vertes. En même temps que la grenade sous-marine, le jeune Colt vient d’inventer – bien involontairement – la tenue camouflée… Nul doute. Même si l’histoire ne le précise pas, la teinturerie de son père a certainement connu un record d’affluence dans les jours qui suivirent ! Le temps de se ressaisir, et une foule en colère se précipite en hurlant sur Samuel Colt. Ce dernier échappe de peu à un lynchage en règle et ne doit son salut qu’a l’efficace intervention de Elisha K. Root, futur grand nom de l’armement[1]. Il convient donc pour notre turbulent génie de se faire oublier pour quelque temps. 

Un revolver tout en bois !

Le 2 août 1830, avec l’assentiment de son père, il gagne Boston et embarque en qualité de matelot sur le  « Corvo », un navire à destination de Calcutta (Inde.) Ainsi va naître une légende à prendre sous sa forme conditionnelle. S’il faut en croire sa biographie, le système du revolver lui aurait été inspiré lors de cette traversée. C’est en étudiant la barre de navigation et son dispositif de blocage, que lui serait venue l’idée de transposer ces éléments mécaniques sur une arme à feu, donnant ainsi naissance au barillet rotatif. Durant ce long voyage en mer, Samuel Colt aurait taillé – au moyen d’un couteau de poche – une maquette en bois de son premier revolver. Légende ou pas, une chose demeure certaine. Cette maquette en bois, existe bel et bien. De nos jours, elle se trouve exposée à Hartford, dans une salle du musée Colt[2] !  De retour en Amérique, Samuel présente son projet à son père, amateur de mécanique. Fortement impressionné par l’œuvre de son fils, il le pousse – via un ami travaillant pour le Patent Office de Washington (organisme d’Etat ayant en charge la protection des inventions) à déposer un premier brevet. Il porte sur un étrange pistolet dont l’alimentation est assurée par un barillet rotatif faisant office de magasin. Le premier revolver vient de naître…

Lorsque le docteur Coult met les gaz 

Mais la concrétisation d’un prototype en métal nécessite pas mal d’argent. Pour toute fortune, le jeune Colt ne dispose que de la bien maigre solde gagnée comme matelot à bord du Corvo. Samuel Colt, toujours aidé de son père, soumet alors son idée à un petit artisan armurier de Hartford, un nommé Anson Chase, investissant du même coup son mince pécule dans la réalisation d’un prototype qu’il espère fonctionnel. Son invention étant couverte par un brevet, il ne risque guère de se faire voler l’idée. Ce premier prototype est réalisé quelques mois plus tard. Mais, du simple proto à la production en série, il y a loin. D’autant, que les résultats escomptés ne sont pas au rendez-vous ! Il lui faut donc persévérer, mais il reste à trouver les fonds nécessaires, ce qui n’est pas simple à cette époque où les emprunts sont choses rares. Il a alors une idée et pas n’importe laquelle…

Mettant à profit ses excellentes connaissances en chimie, il devient du jour au lendemain le réputé « docteur Coult » de Calcutta, spécialiste du gaz hilarant… En effet, ayant mis au point un gaz de ce type (à base de protoxyde d’azote) il propose à un public crédule de respirer ce gaz magique contre une somme de 50 cents, l’expérience étant gratuite pour la gente féminine… Comme c’est souvent le cas pour les idées les plus folles, cette expérience fonctionne à merveille. Dans les foires, les gens se pressent pour venir respirer le bon air du Docteur Coult. Encouragé par ces premiers succès, il entreprend alors plusieurs tournées dans le Nord de l’Amérique. Une grande partie des recettes est immédiatement investie dans la réalisation d’autres revolvers et une étrange carabine à barillet. En homme prudent, il dépose pour chaque invention un nouveau brevet : Londres et Paris en 1835, Amérique en 1836. Colt sait fort bien que s’il dépose son premier brevet dans son pays natal, il va rencontrer d’énormes difficultés pour l’exploiter sur le vieux continent, en raison d’un fort protectionnisme ambiant. Un armurier de Baltimore, nommé Pearson, est chargé de la réalisation des derniers prototypes. Grâce au gaz hilarant, ce bon docteur Coult se retrouve bientôt avec un petit capital en poche. Il peut donc reprendre son identité et ses occupations préférées : les armes !

Débuts d’un Empire industriel

L’année 1836, va marquer les débuts de Colt dans ce qui est appelé à devenir un empire industriel. Il est âgé de seulement 22 ans, lorsqu’il collabore à sa première fabrique d’armes : la « Patent Arms Manufacturing Company of Paterson ». Curieusement, il ne s’implante pas à Hartford, sa ville natale, mais à Paterson dans le New Jersey.  Cette compagnie est alors dirigée par Dudley Seldon, un cousin de Samuel Colt. Ce dernier s’engage par contrat à céder ses brevets américains à la compagnie et apporter son aide dans le domaine de la production. En échange, il est convenu qu’il sera doté d’un salaire annuel de 1000 dollars et un petit pourcentage sur chaque arme produite. En contrepartie, la firme s’engage à produire lesdites armes dans un délai de six mois à compter de la signature de ce contrat et à n’exploiter aucun autre brevet que ceux de Colt. De plus, il est mentionné qu’en cas de cessation d’activités, l’inventeur redevient propriétaire de ses droits et libre d’en assurer l’exploitation à sa guise.

Les premiers revolvers produits seront ainsi baptisés « Colt Paterson. » En calibre .40 avec un barillet d’une capacité de cinq coups et un canon long de 3 pouces ¼ , ces revolvers sont dotés d’une platine fonctionnant en simple action. Le chien externe, armé manuellement lors de chaque tir, est relié à un système qui verrouille – à tour de rôle – les cinq chambres du barillet, en face du cône d’entrée du canon. Comme nous sommes encore assez loin de l’avènement de la cartouche à étui métallique, le chargement est assuré par de la poudre noire, introduite dans chacune des cinq chambres du barillet. Cette poudre est alors compressée par l’introduction en force – par l’avant du barillet – de projectiles en plomb de forme ronde. Enfin, la mise à feu de chacune des chambres est assurée par de petites capsules de fulminate emboîtées sur des cheminées vissées à l’arrière de ce même barillet. Le canon en acier est de forme octogonale et la détente repliable se loge sous le bâti de carcasse, au niveau de la cage inférieure du barillet. Un modèle expérimental, baptisé « Paterson Belt Pistol «  sera équipé d’une courte baïonnette se repliant sous le canon. Les premières séries semblent obtenir la faveur du public. Pour les autorités militaires il en va tout autrement. Le revolver Colt Paterson est testé au cours de l’année 1837 par la Commission de l’artillerie, mais l’avis rendu par l’armée s’avère défavorable. Le mécanisme est jugé trop complexe pour une arme à usage militaire. De plus, le prix de vente est trop élevé pour permettre une dotation de masse. 

Mais, c’est mal connaître Samuel Colt. Loin de sombrer dans le découragement, il semble galvanisé par ce premier échec. Lors de ses nombreux démarchages commerciaux, Colt a fait la connaissance du colonel William Harnley, qui se trouve alors en Floride. Sa mission est de lutter contre les Indiens Séminoles, lesquels sont bien décidés à conserver leurs terres, quitte à en découdre avec les visages pâles. Colt trempe donc sa plume dans l’encre pour lui faire une proposition commerciale. L’officier lui répond peu après, l’informant que l’armement dont ses troupes sont dotées n’est pas à la hauteur des circonstances. Il envisage donc de faire acheter par l’armée une centaine de ses fusils et revolvers afin d’effectuer des tests en situation réelle. Samuel Colt se rend en personne sur les lieux avec un chargement d’armes. Le voyage entre le New-Jersey et la Floride s’avère aussi pénible que dangereux. Le convoi doit traverser des marécages, franchir des rivières et éviter autant que possible les bandes de pillards locaux. Nouvelle déception pour Colt. Contre l’avis du colonel Harnley, l’armée américaine préfère conserver ses vieux pistolets à silex. Seule une bien maigre commande de carabines à barillet sera passée à la Compagnie en 1840. Par contre, le revolver Colt Paterson sera vendu peu après à la marine du Texas, jeune Etat venant de proclamer son indépendance, mais aussi aux Texas Rangers, lesquels sont engagés dans des opérations de police contre les Mexicains et les Indiens. Mais, malgré ces quelques succès, les ventes ne sont pas à la hauteur des espérances. La production se fait encore en très petite série et la marge bénéficiaire est bien trop restreinte pour que l’entreprise soit rentable. Samuel Colt n’ayant pas encore l’étoffe d’un chevalier d’industrie cette première usine se voit contrainte de cesser toute production en 1841. Loin de se décourager, S. Colt – qui a déjà une âme de battant – cherche alors à diversifier ses activités. Il développe un projet de mine sous-marine (l’épisode de la mare n’était donc pas qu’une mauvaise plaisanterie !) et travaille dans le même temps avec Samuel Morse à la mise au point du premier télégraphe… La passion des armes à feu ne l’ayant jamais quitté, il améliore encore ses revolvers. Un nouveau modèle sort bientôt de ses cartons. Cette fois, Colt charge Eli Whitney de le réaliser en ses ateliers de Whitneyville, locaux de production très modernes pour l’époque. En effet, les Whitney (père et fils) sont à l’origine de la toute première moissonneuse de coton, une invention qui assurera en peu de temps la prospérité des Etats sudistes. Un contrat d’association est donc passé. Il prévoit, entre autres choses, que Samuel Colt reste propriétaire des machines-outils destinées à la production d’armes. Il est vrai que ces mêmes machines ont été achetées par Colt sur ses propres deniers.

Colt et Walker

L’année 1846 marque un tournant important dans la vie de Samuel Colt. Il est contacté par le capitaine Samuel Walker des U.S. Mounted Rifles. Agissant dans le cadre d’un éventuel contrat militaire, le capitaine Walker est en  charge de l’élaboration d’un revolver de gros calibre, arme destinée à la cavalerie américaine. Or, il se trouve que Colt travaille précisément à la conception d’un revolver pouvant répondre aux critères imposés. Il ne reste plus, dès lors, à adapter ce prototype au cahier des charges établi par le capitaine Walker. L’arme est opérationnelle très rapidement. Une première commande officielle, passée le 4 janvier 1847 par le War Department, porte sur un millier d’exemplaires à 25 dollars l’unité, commande que Eli Whitney parvient à honorer sans mal. Le légendaire « Colt-Walker modèle 1847 » vient de voir le jour !  C’est un gros revolver qui se compose de peu de pièces mobiles. Le pontet forme un ensemble avec la sous-garde, un levier de refouloir est logé sous le canon. Afin d’améliorer la visée, le chien comporte une encoche longitudinale en sa partie haute.  Cette fois, le barillet est à 6 chambres. Massif, il est prévu pour contenir une charge de 3,25 g de poudre et tire un projectile en plomb, de forme ogivale, de calibre 44 (11,4 mm).  Cet énorme revolver – qui approche le poids respectable de 2100 g (soit le double de poids qu’un pistolet semi-automatique 1911-A1…) – est doté d’un robuste canon d’une longueur de 229 mm.

Fin 1847, une seconde commande est passée par le War Department. Elle porte de nouveau sur 1000 revolvers Colt-Walker. Cette fois, l’usine des Whitney ne semble pas en mesure de tenir les délais fixés par l’armée. C’est l’occasion pour S. Colt de rompre son contrat. Il quitte donc l’usine de Whitneyville, emportant avec lui les machines et l’outillage spécialisé. Grâce aux bénéfices dégagés par ces contrats providentiels, Samuel Colt ouvre sa propre usine en 1847. De ces premiers locaux industriels – situés Pearl Street à Hartford – vont sortir les fameux revolvers « Dragoon » et « Pocket ». A ce moment, la firme Colt dispose déjà d’une solide réputation sur l’ensemble du continent américain. Reste à conquérir cette bonne vieille Europe, une idée qui l’obsède depuis déjà de nombreuses années. A cette même époque, notre homme utilise ouvertement son grade de colonel, ce qui améliore grandement sa carte de visite. En fait, ce grade de « colonel » ne doit rien à un quelconque exploit guerrier. Samuel Colt a été nommé au grade honorifique de lieutenant-colonel d’une milice para-militaire : « Les volontaires de l’Etat du Connecticut. »

L’aventure Européenne

En 1851, décide de participer à l’Exposition Universelle de Londres, dans le but de se faire connaître. Il a emporté dans ses bagages une grande quantité de revolvers de luxe, dont certains gravés à l’or fin, cadeaux destinés aux plus hauts dignitaires européens, dont le Tsar  de toutes les Russies. Ces fastueux présents ne sont pas désintéressés, car Colt – en parfait stratège – sait qu’il est nécessaire de semer pour récolter. Il caresse l’espoir de contrats commerciaux, et le miracle se produit. Des contrats, Samuel Colt en décroche une certaine quantité. Devant le succès rencontré, il décide alors de créer sa propre filiale européenne. C’est à Londres qu’il implante cette dernière. Au mois d’octobre 1852, Colt arrive en Angleterre avec armes et bagages à savoir ses meilleurs techniciens et des machines-outils. L’usine ouvre ses portes le 1er janvier 1853. Elle est implantée en bordure de la Tamise, près de Vauxhall Bridge. Les gravures d’époque montrent des bâtiments modernes, tout en longueur. Par contre, les bureaux d’étude et la gestion administrative de la firme, sont implantés au 14 Pall-Mall Street. A la tête de cette filiale européenne, Samuel Colt place un homme de confiance : Charles Mauby. Cet administrateur général est l’ancien secrétaire de l’Institut des Ingénieurs Civils de Londres. Les débouchés s’annonçant très prometteurs, la création d’une structure de production purement européenne est alors en mesure de contourner en toute légalité les lourdes taxes d’importation qui frappent les produits américains le :  » Buy British. » Cette filiale londonienne est opérationnelle dès le 1er  janvier 1853. Elle va produire les modèles « 1849 Pocket Pistol » et « 1851 Navy » et  « Dragoon n°2. » Les armes produites dans cette usine Britannique sont absolument identiques à celles qui sont fabriquées en Amérique dans l’usine d’Hartford. La seule différence porte sur l’apposition de poinçons d’épreuve anglais et le marquage de canon suivant :  » Adress. Sam’l Colt London. »

Premier fournisseur des troupes américaines !

Mais Samuel Colt a l’âme d’un grand voyageur. Il ne peut à la fois parcourir le monde à la recherche de contrats et diriger ses usines. Aussi, c’est à son ami de toujours : Elisha King Root, qu’il confie la direction des productions US. C’est au cours de cette même période londonienne que le frère Samuel Colt aurait été initié dans une loge anglaise travaillant au rite Ecossais. Nous ne savons que peu de chose sur ce sujet, sinon une appartenance à la Franc-Maçonnerie désormais avérée. En 1852, S. Colt – qui éprouve des envies d’expansion – fait l’acquisition d’un immense terrain à Hartford, celui des Meadows South. Après de nombreux aménagements, car ce terrain est situé en bordure de la rivière Connecticut – donc en zone inondable – notre homme y fait bâtir une usine ultra moderne. 

L’aménagement des nouveaux locaux va prendre un peu plus de deux ans. Peu après, un nouveau modèle baptisé « Pocket  Pistol of 1855 » voit le jour. Il s’agit d’un bien étrange revolver conçu par son ami Elisha Root. Il est doté en sa face droite d’un chien latéral externe. Cette arme ne risque guère de bouleverser les foules et les ventes ne suivent pas. En fait, l’élément majeur de la prospérité de Colt va être la Guerre de Sécession. La « Colt’s Patent Fire Arm’s Manufacturing and Co » va se tailler la part du lion dans la fourniture de revolvers et carabines à barillets, devenant ainsi le premier fabricant d’armes américaines. Les revolvers produits par Colt ont tenu une large place dans la suprématie des troupes nordiste de l’Union. Dans les unités de cavalerie, notamment, où la puissance de feu de l’énorme revolver « Colt’s-Walker » fut souvent déterminante lors de combats rapprochés. De plus, la capacité de production de la nouvelle usine d’Hartford, va permettre à Colt d’honorer sans aucun problème une commande gouvernementale portant sur 7.500 fusils destinés aux troupes de l’Union. D’autres contrats officiels sont ensuite confiés à la « Colt’s Fire Arm’s »après ce même conflit. Colt devient ainsi le premier fournisseur des troupes américaines !

Conflits sociaux à Londres

En 1854, la Commission parlementaire Britannique pour l’armement, passe à Colt une importante commande de revolvers. Le contrat prévoit également la fourniture de machines-outils destinées à produire des fusils d’infanterie dans l’arsenal Royal d’Enfield. Mais, peu après, les ouvriers britanniques – majoritaires dans l’usine de Londres – se révoltent contre les cadences infernales imposées par le Maître de Hartford. Après quelques semaines de grèves intermittentes, qui vont ralentir considérablement la production et remettre en cause une partie des contrats en cours, les négociations s’engagent. Mais ces revendications sociales ne débouchent sur aucune issue favorable. Samuel Colt, qui n’est pas homme à céder aussi facilement, ferme cette même usine en 1857. Les locaux et l’outillage sont alors cédés à la « London Pistole Company » qui va produire durant quelques mois des revolvers sous licence Colt. Mais, rencontrant des difficultés financières, cette firme anglaise ferme bientôt ses portes…

Samuel convole en justes noces…

Le 5 janvier 1856, Samuel Colt épouse Elizabeth Hart Jarvis, fille d’un pasteur de l’église épiscopale et soeur du vice-président de l’usine de Hartford. En octobre de la même année, le couple effectue son voyage de noces en Europe. C’est l’occasion pour Sam de joindre l’utile à l’agréable. A Saint-Petersbourg, il rend visite à l’un des plus célèbres clients de la compagnie : le Tsar Alexandre. En cette occasion, Colt offre au souverain de toutes les Russies un magnifique coffret contenant deux revolvers « Dragoon » spécialement préparés par les artistes graveurs de Hartford. Ils sont finement ciselés et incrustés d’or fin. Bien entendu, il quitte Saint-Pertersbourg avec quelques juteux contrats dans ses bagages… En février 1857, le premier enfant du couple Colt voit le jour. Il s’agit d’une fille, laquelle décédera quelques années plus tard de maladie. La mort de cette enfant affecte terriblement S. Colt. Dès lors, son caractère change considérablement. Souvent morose, Colt n’est plus l’extraordinaire battant que l’on a connu. Il parcourt parfois son usine, la tête ailleurs. Il est à la recherche d’un fantôme, celui de la fillette qu’il aimait conduire dans le dédale des ateliers,  la tenant alors par la main. Deux ans plus tard, Elizabeth lui donne un héritier mâle en la personne de Cadwell Colt. Le père reporte alors son affection sur ce fils, mais sa santé se détériore de mois en mois. Il sait déjà qu’il ne verra pas grandir ce fils !

Le chant du cygne…

La dernière réalisation du Maître, porte sur la mise au point et la production en très grande série d’un nouveau revolver à vocation militaire : le modèle « 1860 Army. » Le surmenage aidant, l’état de santé de Samuel Colt se dégrade très rapidement. Il décède le 10 janvier 1862 à Hartford, dans sa magnifique résidence de style Victorien – baptisée « Armsmear » – qu’il a fait édifier, quelques années plus-tôt, sur un vaste parc situé en face de l’usine principale. Le lendemain de sa mort, les 1500 ouvriers de la « Colt’s Fire Arm’s » défilent devant sa dépouille, dont le cercueil est exposé au centre de l’immense hall de « Armsmear ». En signe de deuil, ils sont porteurs d’un brassard en crêpe noir. Les obsèques de Samuel Colt se déroulent le mardi 14 janvier 1862 à 15h00. En cette occasion, plusieurs milliers de personnes sont présentes pour accompagner en sa dernière demeure l’un des plus grands génies de l’armement.  Elisha K. Root, est alors désigné pour lui succéder à la présidence de la firme. Son épouse Elizabeth et son fils Cadwell Colt, alors âgé de 3 ans, auront la charge de poursuivre l’œuvre du grand homme sous diverses présidences. Ainsi se termine aujourdhui l’aventure de Samuel Colt

Michel Malherbe ©                               


[1] E. K. Root deviendra l’un des plus brillants ingénieurs spécialisés en ce domaine. En outre, il sera le plus fidèle ami de Samuel Colt. A la mort de ce dernier – en 1862 – Elisha Root, qui est alors son collaborateur le plus proche, prendra la tête de la Colt’ Manufacturing and Co.

[2] Ce barillet en bois, qui aurait été sculpté en mer, fait partie de la collection Samuel Colt, Wadsworth Atheneum.