Des crocodiles chez le roi Soleil !

Des crocodiles chez le roi Soleil !

Un fait divers présentant, un certain mordant…

Château de Versailles, 9 juillet 1921

Voici un petit fait divers authentique. La scène se déroule le 9 juillet 1921, au « bassin des Pages » du château de Versailles. Pour mémoire, il se situe près de la grille de Cérès, entre Neptune et lePetit Trianon. Ce bassin est un ancien réservoir d’eau conçu au temps du Roi Soleil, sa majesté Louis XIV. Lors de sa création, il est irrigué par l’étang de Clagny, grâce à système de cascade en trop plein. Ce double réservoir, étant mis à disposition des nombreux pages royaux, prendra, de fait, la dénomination de « bassin des Pages ». Dès le moyen-âge, être Page à la Cour de France,  consistait alors, pour un jeune garçon de noble lignée, à être attaché au service exclusif du roi. Il servait ainsi la Cour dès sa septième année et ce, jusqu’à l’âge de quatorze ans, avant de devenir apprenti écuyer auprès d’un seigneur ou chevalier.

Mon lieutenant, il y a des crocodiles…

En ce mois de juillet 1921, à défaut de souverain au château de Versailles, la canicule règne en maître. Une chaleur torride ! Rien de plus normal, me direz-vous, puisque la scène se déroule dans des jardins et bassins ayant été jadis la propriété du Roi Soleil…Alors, quoi de plus rafraichissant qu’une bonne baignade dans une eau fraiche et limpide. Or, une surprise de taille attend les baigneurs potentiels. En tout début d’après-midi, aux heures les plus chaudes de la journée, un détachement de militaires,commandé par un élégantet rigide jeune lieutenant, fraîchement sorti de Saint-Cyr, décide d’investir les lieux afin de s’y baigner. Il s’agit de sapeurs du 5eGénie dont le régiment est en garnison à Versailles, au camp des Matelots.Débarrassés provisoirement de leurs uniformes bleu horizon, échangés pour la circonstance contre un caleçon de couleur kaki, ce qui semble bien moins seyant, les soldats se jettent  à l’eau…Brusquement, un sergent quitte le bassin en hurlant comme un possédé. Il interpelle alors le lieutenant, lequel est resté en retrait, sur l’herbe, près des uniformes  provisoirement déposés par son détachement. Il le fait en ces termes :

« Mon lieutenant, il y a des crocodiles, ici ! Nos hommes vont être dévorés… »

Le jeune officier se fend alors d’un large sourire, pensant à une plaisanterie de corps de garde… Mais, malheureusement, les soldats versaillais ne sont alors pas les seuls humanoïdes bipèdesà s’ébrouer dans ce bassin. Les élèves d’un pensionnat religieux, qui viennent de mettre les pieds dans l’eau, sortent également du bassin en criant en direction du prêtre accompagnateur :

«  Des crocodiles !  Au secours, mon Père ! C’est des crocodiles… »

Le lieutenant vient de perdre instantanément son sourire. L’heure n’est plus aux galéjades ! En approchant du bassin, il distingue maintenant des silhouettes inquiétantes.Celles de gros Sauriens !

Les bêtes ne semblent faire preuve d’aucune agressivité, mais l’officier a immédiatement pris conscience du danger mortel que représentait cette faune incongrue. Ordre fut donc donné à tous les baigneurs d’évacuer immédiatement les lieux et ce jeune officier alertera les autorités. En peu de temps, l’endroit est cerné par des gendarmes mobiles armés de carabines, renforcés par des fantassins venus du camp de Satoryet quelques sapeurs-pompiers locaux. Le préfet est sur place, il prend donc la direction des opérations. Le public et la presse sont tenus à l’écart, derrière un imposant cordon de sécurité.

Mais, me direz-vous, des crocodiles chez le roi Soleil. Cela ressemble fort à un canular… Que nenni !La réalité dépasse souvent la fiction ! Afin de comprendre le caractère quelque peu exotique de ce fait divers, une petite explication s’impose.Une entreprise cinématographique était venue à Versailles dans le but de tourner un documentaire animalier. La production avaitdonc loué à grands frais, en accord avec les responsables du château, huit magnifiques crocodiles du Nil. Des spécimens adultes, mesurant chacun dans les trois mètres de long, pour un poids unitaire moyen d‘environ 300 kilos… Ces pauvres bêtes qui, comme les hommes, avaient grand besoin de faire trempette, avaient donc été introduits volontairement dans le bassin des Pages, au cours de la matinée. Du reste l’autorisation de tournage qui avait été délivré par la préfecture, en accord avec la direction du château de Versailles, précisait pourtant que les prises de vues devaient impérativement être terminées à 12 heuresL’après-midi étant réservé à d’éventuelles baignades, ouvertes au public !

Or, dès que ces malheureux Sauriens furent transposés dans leur éléments aquatiques ; ils refusèrent de se laisser filmer et, surtout de sortir de ce grand bassin ! Certains,iront même chercher un peu de fraicheur à l’ombre des buissons… Or, cette même équipe cinématographique serait partie, vers midi, faire une pose déjeuner dans un restaurant versaillais. Avec, certainement, l’intention d’évacuer les crocodiles dès leur retour. Mais, la bonne chair et le Dieu Bacchus aidant, cette fine équipe aurait perdu la notion du temps. Oubliés donc, les « lézards à grandes dents » se trouvant dans le bassin des Pages ! Ils seront surpris, en revenant vers 14h30, de voir le bassin cerné par des gendarmes et fantassins, prêts à ouvrir le feu au premier claquement de mâchoire !C’est bien plus tard, dans la soirée, que les huit crocodiles du Nil accepteront enfin de regagner les cages de transport, lesquelles seront installées sur des camions automobiles. Cages que des soigneurs animaliers avaient copieusement appâtées avec de gros morceaux de viande de bœuf …Une question s’impose alors : pour quelle raison les cinéastes n’ont-ils pas jugé utile de prévenir la direction du château  de ce contre temps ? Certes, il y aura bien une enquête, mais le résultat des investigations ne sera jamais communiqué !

On en parlera longtemps dans les chaumières et même dans les casernes versaillaises, de cette baignade hors norme ! La presse nationale va même en faire ses choux gras. D’autant que, durant cette même période de l’années 1921, Versailles sera au cœur d’un événement international  de la plus haute importance : le fameux « Traité de Versailles » destiné à l’évaluation des dommages de la Première Guerre mondiale et des indemnités que l’Allemagne devra verser aux nations concernées. Comme visiblement la France a mal négocié ses propres intérêts, certains parlementaires en pleureront sans doute des larmes de… crocodiles !

Michel Malherbe

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Crédit photo & © Copyright : Michel Malherbe

Histoires Criminelles & Police > Michel Malherbe : Totale Impro 2.0 – Samedi 8 octobre 2022 (15 min)