Le Drame de Dampierre (1935)
Une banale dispute et cinq coups de revolver
Henri Pélissier va trouver la mort le 1er mai 1935 dans sa maison de Fourcherolles, près de Dampierre-en-Yvelines. Décès survenu lors d’une tragique dispute conjugale. Il sera tué par l’un des quatre projectiles de revolver tirés par sa compagne, Camille Tharault. Cette dernière voulant alors se porter au secours à sa jeune sœur, Jeanne Tharault, balafrée au visage de plusieurs coups de couteau par Henri Pélissier, dans le but de la punir d’une simple réflexion, laquelle l’avait rendu fou furieux !
Une légende du cyclisme sur route
Jean-Henri-Auguste Pélissier, dit Henri Pélissier, né le 22 janvier 1889 à Paris 18eet mort en mai 1935 à Dampierre (78), était un champion cycliste français. Vainqueur du Tour de France en 1923, il s’était également classé second de l’épreuve en 1914 et y a remporté dix victoires d’étape en huit participations. Il fut également le seul vainqueur français du Tour entre 1911 et 1930.Ses frères Francis et Charles Pélissier mèneront, eux aussi, une très belle carrière de cyclistes professionnels. Champion hors-norme, mais jugé irascible, orgueilleux et susceptible, Henri Pélissier jouissait alors d’une immense popularité auprès du grand public. Mais, par son comportement atypique, il saura aussi s’attirer de nombreux ennemis dans le monde du cyclisme.
Un caractère très atypique
Henri Pélissier était impulsif et bien incapable de contrôler ses crises de colère. Il aura ainsi, lors de sa carrière sportive, de très nombreux différents avec ses équipiers et organisateurs. En 1930, lors d’une épreuve sur circuit se déroulant sur l’autodrome de Montlhéry, Pélissier va s’en prendre à un gendarme chargé d’assurer la sécurité du public. Ayant refusé de montrer son laisser-passer, le militaire lui interdit logiquement l’accès au circuit. Le ton monte très rapidement et le gendarme sera molesté et couvert d’injures. Cet acte inqualifiable et injustifié vaudra à Henri Pélissier une comparution devant le tribunal correctionnel. Autre facette du grand champion. Henri Pélissier était un braconnier impénitent. Il aimait, la nuit poser des collets dans le but de capturer de petits gibiers autour de sa propriété. Les lieux s’y prêtaient à merveille, puisque sa villa était située en bordure de la forêt de Rambouillet. Il aurait ainsi déclaré aux gendarmes locaux :
« La nuit, je ne connais personne. Gendarmes ou gardes-chasses, cela m’est égal ! Si je les vois sur la route, je fonce dedans avec ma voiture… »
Même après une carrière bien remplie, alors qu’il pourrait profiter pleinement de son impressionnant palmarès, il restera totalement imprévisible. La moindre parole qu’il estimait déplacée se terminait généralement en bagarre ! Son caractère emporté va encore se durcir à la mort de sa femme.
Le 22 octobre 1932, Léonie Pélissier, son épouse légitime, se suicide dans leur maison de Fourcherolles, près de Dampierre (78). Au moyen d’un revolver en calibre 6,35 mm, cette pauvre femme se tire une balle dans la tempe. Signe du destin, cette même arme sera utilisée trois ans plus tard contre lui ! Elle est alors en pleine dépression nerveuse, mal pernicieux qui fait suite à toute une série de disputes (très médiatisées) avec son mari, et par la mort récente de sa mère. Après la mort de sa femme, Henri, très touché par ce drame est devenu encore plus invivable. Il semble avoir trouvé refuge dans l’alcool. Pas continuellement, certes, mais assez souvent… Même sa nouvelle amie, Camille Tharault, qui a vingt ans de moins que lui, ne parviendra pas à adoucir quelque peu son caractère emporté. Dans la villa de Fourcherolles, Pélissier règne en maître absolu. Il ne supporte aucune critique ou contrariété et il est alors fréquent qu’il en vienne aux mains. Souvent pour des prétextes futiles.
Dans cette maison, Henri, qui est alors âgé de 46 ans, vit avec trois femmes : Janine Pélissier, sa fille, âgée de 17 ans au moment des faits, Camille Tharault, 24 ans, sa compagne, et Jeanne Tharault, 19 ans, sœur de Camille. Cette dernière embauchée comme domestique, assure l’intendance des lieux. Les deux jeunes filles, Janine Pélissier et Jeanne Tharault, s’entendent fort bien. Trop bien, même, aux dires du champion cycliste. Il est vrai qu’elles ont pratiquement le même âge et que l’une comme l’autre sont jolies. De fait, les jeunes soupirants ne manquent pas ! Henri Pélissier est loin d’approuver. Il estime alors que Jeanne entraîne sa fille dans la débauche. Un jour de colère, ce qui était fréquent, Henri ira même jusqu’à poursuivre deux jeunes garçons, jugés trop entreprenants, en tirant des coups de feu en l’air au moyen de son revolver !
Une soirée dramatique
Le drame va se produire au soir du 1er mai 1935, vers 20h30.Henri Pélissier avait invité, dans sa maison de Fourcherolles, un hameau de Dampierre, un couple d’amis, le docteur René Hirou, chirurgien-dentiste à Paris, son épouse et leur enfant âgé de 16 mois. En principe, cette invitation était prévue pour le déjeuner, mais ce praticien ayant alors une urgence de dernière heure, le repas avait été transformé en dîner. Henri Pélissier, bien qu’il n’en montre rien, semble vivement contrarié par cet imprévu. Le couple Hirou arrive donc à Fourcherolles en début d’après-midi. Après un petit verre de bienvenue, tout le monde s’entasse dans les deux automobiles, la sienne et celle du docteur Hirou, pour une petite promenade en forêt de Rambouillet. Puis, après avoir déposé les femmes à la maison, les deux hommes repartent pour prendre l’apéritif dans un bar de la région et regagnent Fourcherolles vers vingt heures. Pélissier est pour le moins éméché. Selon l’enquête, les deux hommes auraient absorbés près de deux bouteilles de vin, cinq apéritifs et deux fines… Le repas du soir se déroule joyeusement et rien ne laisse alors présager un tel drame. A un moment, le couple Hirou est en léger désaccord sur les soins qu’il convient d’apporter au bébé. La jeune Jeanne Tharault se mêle de la conversation, ce qui, pour le champion cycliste semble déplacé. Hors de lui, il demande à sa belle-sœur de quitter la table et de rejoindre la cuisine, là où se trouve sa place… En pleurs, elle s’exécute immédiatement. Mais Pélissier semble hors de lui. L’ayant rejointe, il l’insulte copieusement et commence à lui porter quelques coups au visage. Camille Tharault, entendant crier sa sœur, se porte à son secours. Elle écope à son tour d’une correction. Henri la pousse dans leur chambre et la frappe sur la tête au moyen d’une grosse louche. Une fois à terre, il distribue à sa compagne de violents coups de pied dans le ventre. Il semble comme fou ! S’étant emparé de son revolver qui se trouve dans le tiroir de la table de nuit, il hurle comme un dément :
– Tu vas y passer, et tout à l’heure ce sera le tour de ta salope de sœur et de ma fille…
Le docteur René Hirou, depuis la salle à manger, lui crie alors :
« Henri, arrête immédiatement, tu es fou !
A ce moment, Camille perd connaissance quelques minutes. Revenue à elle, elle entend Jeanne qui appelle au secours depuis la cuisine. Saisissant le revolver qui se trouve alors sur la table de nuit, là où Pélissier vient de le déposer, elle se précipite vers la cuisine. Elle arrive au moment où sa sœur est tombée à genoux, le visage ensanglanté. Pélissier vient de lui porter quelques coups au visage en se servant d’un couteau de cuisine dont la lame est très effilée. Jeanne Tharault présente deux belles estafilades sur la joue droite. Sans réfléchir d’avantage aux conséquences, Camille ouvre le feu sur l’ex-champion à cinq reprises. Le docteur Hirou, en attrapant la main qui serre le revolver, parviendra à détourner les tirs. Un seul projectile va atteindre son but, les quatre autres vont se perdre dans les meubles. Une seule balle, certes, mais mortelle ! Ayant fait son entrée au niveau du cou, le projectile arrache la veine jugulaire et Henri Pélissier décède moins de deux minutes plus tard, d’une hémorragie foudroyante…
Camille Tharault, le visage tuméfié, totalement dépassée par les évènements, va trouver refuge chez de proches voisins. A ce moment, elle ignore encore que son ami est décédé des suites de ses blessures. Elle y sera interpellée peu après par les gendarmes. La brigade de gendarmerie de Chevreuse est immédiatement avisée et se déplace sur les lieux. Le procureur de la République arrive peu après. Il est accompagné d’un juge d’instruction et du docteur Détis, médecin légiste. Puis, les techniciens de l’identité judiciaire sont requis dans le but de « figer » la scène de crime. Le corps est laissé sur les lieux et l’autopsie de Pélissier sera effectuée le lendemain par le docteur Détis. L’analyse réalisée en laboratoire, à partir du sang prélevé sur la victime, juste après sa mort, montrera un taux d’alcoolémie très supérieur à la normale. Henri Pélissier était donc indéniablement en état d’ébriété lors de ce drame ! Camille Tharault, après audition est inculpée d’homicide volontaire et incarcérée à la maison d’arrêt de Versailles.Elle sera remise en liberté provisoire deux mois plus tard, l’instruction s’orientant alors vers la thèse d’un homicide involontaire. Elle a toujours prétendu n’avoir agi que dans le seul but de sauver la vie de sa sœur, laquelle courrait à ce moment un grand danger. Le magistrat instructeur estimera, sur la base de la procédure, qu’il n’y a eu aucune préméditation et qu’il s’agit d’un acte totalement fortuit. L’accusée ayant utilisé, par réflexe, une arme à feu qui se trouvait alors à portée de sa main, arme déposée peu avant par Pélissier lui-même ! Etant donné la personnalité de la victime, la presse s’empare immédiatement de l’affaire, laquelle va faire couler beaucoup d’encre !
Le procès
Il se déroulera le 26 mai 1936, soit un an après les faits, devant la Cour d’assises de la Seine-et-Oise à Versailles, sous la présidence du conseiller Peyre. Le ministère public est représenté par le substitut Aydolot, faisant office d’avocat général. Bien entendu, ce sera un procès très médiatique. Les frères Pélissier, Francis et Charles, représenteront la partie civile. Ils ne ménageront pas l’accusée, laissant entendre que lorsqu’une jeune femme de vingt-quatre ans opte de faire vie commune avec un compagnon bien plus âgé, célèbre et relativement aisé, le but est facile à deviner ! Répondant à une question posée par le président Peyre, Camille Tharault s’explique :
« J’ai pris le revolver qui se trouvait sur la table de nuit, où mon ami venait de le déposer quelques instant avant. Il se trouvait à portée de m main, mais autrement j’aurais pris n’importe quel autre objet pour défendre ma sœur ! Je vous jure, M. le président, que je n’ai pas tiré pour le tuer… »
Camille Tharault est défendue par un excellent avocat pénaliste, M° Lhermitte. Pour lui, c’est avant tout un drame de l’alcoolisme et la légitime défense ne fait aucun doute ! Il demande donc l’acquittement pur et simple de sa cliente. L’avocat général Aydolot requiert avec une certaine modération. Etant donné la nature et le déroulement des faits, il réclame une peine minimale, qu’il fixe à un an de prison. Les jurés vont suivre cette recommandation, estimant que l’excuse de provocation est fondée. Camille Tharault, dont la peine est alors correctionnalisée, se voit condamnée à un an d’emprisonnement avec sursis, pour coups et blessures ayant entraînés la mort, sans intention de la donner. Elle ressort donc libre à l’audience !
Etrange affaire et curieuse destinée. Henri Pélissier sera tué avec l’arme ayant été utilisée, trois ans plus tôt par son épouse, lors de son suicide, dans cette même villa de Fourcherolles…
Michel Malherbe
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