Henry Dunant – Le père fondateur de la Croix-Rouge

Henry Dunant
(1828-1910)

Le père fondateur de la Croix-Rouge

Michel Malherbe
(Mike de Chavornay)
Ecrivain & Historien

Un personnage atypique

Jean-Henri Dunant, plus connu sous le patronyme simplifié de « Henry Dunant », est né le 8 mai 1828 à Genève (Suisse) dans une famille protestante fortement impliquée dans le domaine social. Il est le fils de Jean-Jacques Dunant, citoyen helvétique, commerçant influent et membre du Conseil de la ville de Genève. Sa mère, Anne-Antoinette Colladon, est une femme issue de huguenots français ayant fui les persécutions durant les guerres de religion et installés en Suisse depuis cette période. Cette grande citée de la Suisse romande, parfois surnommée la « Rome protestante », est généralement considérée comme étant une importante plaque tournante de la religion réformée. En 1526, des marchands allemands installés à Genève vont propager, parmi les commerçants de cette ville, les grandes lignes de la Réforme luthérienne. Ils sont alors encouragés par ces Messieurs de Berne, avec lesquels les genevois signeront, en cette même année, un traité de combourgeoisie regroupant deux puissances de souche alémanique : Berne et Fribourg. La Réforme sera définitivement adoptée le 21 mai 1536. Au mois juillet de la même année, Jean Calvin, une autre grande figure du protestantisme, s’installe à Genève en qualité de président de la Compagnie des pasteurs.

Le temps des affaires

Après de brillantes études, Henry Dunant s’orientera vers le milieu des affaires. Il entame sa carrière auprès de financiers suisses de grande renommée, Messieurs Paul-Elisée Lullin et le comte Sautter de Beauregard. Dans le cadre de ses fonctions Henry Dunant visitera une grande partie de l’Europe. On le retrouve en Suisse, bien entendu, mais également en Allemagne, France, Italie, Belgique, Pays-Bas et Grande-Bretagne. Dans tous les pays visités, il se montrera très attentif aux problèmes sociaux des populations. En 1853, plusieurs personnalités suisses en lien avec le réseau protestant des cantons de Genève et celui de Vaud, dont le banquier Lullin et  le comte Sautter, ci-devant employeurs de Henry Dunant, fondent la Compagnie genevoise. L’idée est d’implanter en Algérie – dans la région de Sétif – des familles suisses d’une grande pauvreté. En effet, à cette époque la Suisse est loin d’être un paradis sur la planète Terre. Exception faite de Genève et Zurich, qui sont déjà d’importantes places financières et centres d’affaires, pour l’époque, le reste de la population est principalement rurale et vit alors des maigres revenus de l’agriculture locale et de ceux de l’industrie horlogère, activité principalement localisée dans une partie des cantons de Genève et Vaud.  Certains vaudois trouveront du travail en France en se plaçant comme gens de maison dans des familles aisées. Les Suisses sont alors très appréciés en ce domaine pour leur sérieux et leur propreté.

Seul inconvénient de taille. Si les couples helvétiques sont très recherchés au sein des maisons bourgeoises, le mari sera par exemple cocher de fiacre et l’épouse cuisinière, les enfants d’un couple de domestiques deviennent alors un handicap. Les employeurs aiment souvent les enfants, mais pas chez-eux, exception faite de leurs progénitures…

L’aventure de Sétif

Dans le cadre de cette expérimentation, 20.000 hectares de terres seront concédés à la Compagnie Suisse par le décret du 26 avril 1853 signé par l’empereur Napoléon III. Une centaine de familles du canton de Vaud, parmi les plus démunies, agriculteurs et vignerons principalement originaires de Chavornay, Orny, La Sarraz, Orbe et Yverdon, vont ainsi s’installer dans la région de Sétif. Officiellement mandaté par la banque Lullin & Sautter – sous couvert d’un groupement financier – pour assurer la mise en place de ce projet, Henry Dunant y fera plusieurs séjours. Cette expérience tournera rapidement au désastre. Non seulement les Suisses ont bien du mal à s’adapter au chaud climat de la Kabylie, mais des nombreuses tempêtes ont dévastés les habitations et cultures. Un malheur n’arrivant jamais seul, dit-on, ces Genevois et Vaudois en exils, seront durement touchés par des épidémies de choléra et de fièvres typhoïdes, lesquelles vont engendrer plusieurs vagues de décès en peu de temps. De fait, dès 1855, les familles suisses quittent le brûlant soleil d’Algérie et partent retrouver la fraicheur de leurs chères montagnes…  Il convient de préciser que ces Suisses, honnêtes et rigoureux, ne se comportaient pas en colons, mais en invités. Ils étaient bien intégrés à la population autochtone et seront regrettés par cette dernière au moment de leur retour vers la Suisse. Les financiers à l’origine de ce projet un peu fou, vont alors faire retomber la responsabilité de cet échec sur Henry Dunant. On lui reproche alors de n’avoir pas joué le jeu des financiers et investisseurs (celui de la colonisation) et d’avoir ruiné ce merveilleux projet en le transformant en actions charitables. Dès lors, les banquiers stoppent la manne financière et commence à se rembourser des pertes subies en prélevant des sommes importantes ses biens personnels ! La rupture entre Dunant et la Compagnie genevoise est ainsi consommée ! Elle marque également la chute financière, de ce brave Dunant, lequel a investi dans ce projet la presque totalité de sa maigre fortune. En 1856, Henry Dunant avait fondé – à partir de ses biens personnels – la Société Anonyme des Moulins de Mons-Djemila. Mais, lâché par ses investisseurs, les fonds manquent cruellement dans l’aide qu’il compte apporter aux populations locales. Comme l’Algérie est française à cette même époque, Dunant décide de rencontrer Napoléon III pour lui « faire les poches ». Il a de magnifiques projets humanistes Henry Dunant, mais pour cela il lui faut obtenir les fonds nécessaires. Etant brouillé avec les banquiers suisses, il ne peut donc rien attendre de ce côté. D’autant, qu’il a investi une grande partie de sa fortune personnelle dans des actions humanitaires visant à améliorer la vie de la population algérienne. Ayant sous le coude un coûteux projet de distribution d’eau potable à partir de moulins à eau, il lui faut obtenir de l’empereur des fonds et de petits terrains spécialement dédiés. Or, Dunant, après bien des tentatives pour obtenir un rendez-vous au Palais des Tuileries, va apprendre que Napoléon III se trouve en Italie, à la tête de ses troupes. Mais rien ni personne ne pourrait alors l’arrêter dans son élan. Henry Dunant va donc prendre la route et se rendre à Solférino. Même si le moment ne s’y prête guère, il espère bien rencontrer l’empereur et le faire adhérer à son projet de distribution d’eau en Kabylie !

La bataille de Solférino et la Croix-Rouge

En 1859, les troupes françaises se battent contre les Autrichiens. Le but est de libérer l’Italie du Nord. Des combats très meurtriers se déroulent alors à Palestro, Magenta et Solférino. La légende voudrait que Henry Dunant se soit trouvé – par hasard – en simple touriste dans la région des combats. En fait, il demeure plus probable que ce voyage puisse avoir été entreprit dans un but unique : celui de rencontrer l’empereur Napoléon III et lui exposer son projet de moulins à eau en Algérie. D’autant que le temps presse alors, la situation financière de ce brave Dunant étant largement dans le rouge… Cette démarche sera vaine, car l’empereur a des choses plus urgentes à régler à ce moment. Il a une guerre  en cours ! Mais Henry Dunant ne sera pas venu pour rien. Ses convictions humanistes vont pourvoir être renforcées par ce qu’il verra ! Au lendemain de cette célèbre bataille de Solférino, le bilan est épouvantable : près de 6000 morts et 30.000 blessés.  Or, Dunant le constatera de visu, ces nombreux blessés sont restés sur le terrain, à l’endroit même où ils furent atteints par les projectiles et la mitraille. Sans secours immédiat, certains sont voués à une mort certaine.  Notre homme a réellement la fibre humaniste et il en a apporté la preuve en de nombreuses occasions. Il décide donc que son devoir est de rester à Solférino auprès des victimes. Durant  plusieurs jours, il va s’investir totalement dans le sauvetage des blessés, en aidant les chirurgiens militaires et le personnel sanitaire. Dunant s’improvise brancardier et récupère des blessés de tous les camps, qu’ils soient Italiens, Français ou Autrichiens. Il achète sur ses propres deniers – du moins, le peu qu’il en reste – des fournitures médicales, de la nourriture et des vêtements. Ce dévouement sans limite n’a nullement échappé à Napoléon III.  Lorsque sur les lieux mêmes des combats Dunant lui expose sa nouvelle idée : la création d’une Société de Secours aux blessés militaires, il s’y montre très favorable et lui promet une aide inconditionnelle ! Pour l’irrigation de terres en Algérie, l’empereur estime que rien ne presse et qu’il semble urgent d’attendre et de voir la chose le moment venu… l’acte fondateur de la Croix-Rouge française sera donc entériné le 24 juin 1859. Il a pour objet :

«  L’aide humaniste apportée aux combattants des deux camps sans discrimination »

En ce qui concerne la seule Croix-Rouge française, sa reconnaissance officielle sera effective le 25 mai 1864 sous l’appellation de Société de Secours aux blessés militaires et la protection des victimes de guerre. L’ancêtre de ce qui deviendra la Croix-Rouge Française est donc née d’une réunion préparatoire qui s’est déroulée à cette date dans le salon parisien du Conseil d’administration de la Compagnie des Chemins de Fer Paris-Orléans. Toutefois, les statuts définitifs ne seront approuvés que le 26 juin 1866, date de signature du décret impérial, stipulant une reconnaissance au titre d’établissement d’utilité publique.

Vers une Croix-Rouge Internationale

Peu après, de retour en Suisse, Henry Dunant va prendre contact avec la comtesse de Gasparin. Cette dernière dirige, avec son époux le comte Agénor, l’école d’infirmières de la Source à Lausanne, établissement dont ils sont les membres fondateurs. La comtesse, très émue par le récit enflammé de Dunant, témoin direct des horreurs de Solférino, va prendre attache avec le président de la Société évangélique de Genève.

Henry Dunant est membre actif de cette organisation humanitaire, mais il a besoin de l’appui moral de la comtesse de Gasparin. Il faut que le grand public soit rapidement informé de ce qui se trame dans les coulisses des champs de bataille et des besoins nécessaires pour venir au secours des nombreux blessés de guerre. La Ville de Genève est la première à réagir. Elle expédie immédiatement une mission de secours humanitaires à Castiglione, autre lieu de mort et de désolation. De cette étrange expérience, Dunant conservera par la suite un profond traumatisme. Au point d’écrire un ouvrage dans lequel il va mettre en avant le prix exorbitant de certaines victoires militaires et la souffrance des victimes. Ce livre, intitulé « Un souvenir de Solférino », est publié à compte d’auteur en 1862. Traduit en onze langues, cet ouvrage est envoyé par Dunant aux dirigeants et principales personnalités marquantes en Europe. L’auteur y préconise, il est vrai, la création d’une Société de secours aux blessés de guerre, dans chaque pays. Il s’en explique ainsi :

« N’y aurait-il pas moyen, pendant une période de paix et de tranquillité, de constituer des Sociétés de Secours dont le but serait de faire donner des soins aux blessés en temps de guerre, par des volontaires zélés, dévoués et bien qualifiés pour une pareille œuvre ? »

Henry Dunant prescrit également un texte juridique destiné à la protection des blessés de tous les camps et de toutes les nationalités, ainsi que celle des personnels chargés des secours et soins sur le champ de bataille. En 1863, se forme à Genève le Comité des Cinq, véritable embryon de la Croix-Rouge. Cette association humanitaire compte en des rangs Henry Dunant, Gustave Moynier (juriste de grande renommée), le général Guillaume-Henri Dufour, ainsi que deux chirurgiens, Louis Appia et Théodore Maunoir. Le 24 août 1864 voit la signature de la première Convention de Genève pour l’amélioration du sort des militaires blessés au combat et le secours à la population civile en détresse.  Voici donc les grandes bases de ce que l’on nommera ensuite le droit humanitaire et la Croix-Rouge…

Pourquoi la Croix-Rouge ?

Venir au secours des blessés sous la mitraille n’est pas sans danger. C’est une attitude louable et héroïque, certes, mais qui présente d’énormes risques de confusion dans l’atmosphère glauque et folle des champs de bataille ! Il convient donc de doter le personnel sanitaire d’un élément visuel qui puisse être reconnu immédiatement et sans risque d’erreur possible par tous les belligérants. Le port  d’un large brassard semble être la solution la plus rationnelle. Mais, quel sera le signe distinctif apposé sur ce même brassard ? Il faut qu’il soit simple, bien visible, sans risque de confusion et connu de tous.

Sur l’origine de ce signe distinctif international, deux théories s’affrontent. Le seul élément certain est qu’une large croix rouge sur un fond blanc sera très visible par les combattants des différentes factions.

a) – Le siège de l’organisation étant à Genève, donc sous l’égide de la bannière de la Confédération helvétique, drapeau rouge doté d’une croix blanche en son centre, l’idée d’inverser les couleurs nationales suisses aurait été retenue du fait que la Suisse a été la première nation à intervenir sur le terrain par l’envoi, à Castiglione, de la toute première mission de secours humanitaire ! Les sauveteurs humanitaires porteront donc un large brassard blanc avec une croix rouge en son centre.

b) – L’emblème de la Croix-Rouge serait étroitement lié à la Croix de Saint-Patrick, qui est aussi le saint patron de l’Irlande. Cette croix irlandaise de Saint-Patrick, de couleur rouge, figure également au centre du drapeau national du Royaume-Uni.

Ainsi est né un emblème humanitaire de niveau international : celui de la Croix-Rouge…

A vous de choisir la réponse qui vous semble la plus satisfaisante. En ce qui me concerne, je n’ai aucune préférence et donne volontiers ma langue au chat !

Dure sera la chute !

Et Henry Dunant dans tout cela ? A partir de 1864, Dunant est pratiquement ruiné et se démène comme un beau diable face à ses nombreux créanciers. A sein même de la Croix-Rouge Internationale, il rencontre quelques problèmes. Le malheureux père spirituel de l’organisation sera discrédité par Gustave Moynier, lequel estime nécessaire d’écarter Henry Dunant en raison d’éventuels scandales financiers risquant d’entacher la réputation même de la Croix-Rouge. Pour ne rien arranger, en 1867, le tribunal de commerce de Genève jugeant illicites certaines affaires menées par Dunant, prononce un jugement de faillite frauduleuse. Ecartée de la Croix-Rouge, totalement ruiné et le cœur gros, il quitte Genève pour s’installer à Paris. Dès lors, il va connaître une précarité en limite de l’indigence… Toujours fidèle à ses idéaux, il trouve encore la force suffisante pour s’investir dans des projets humanitaires. Mais, sombrant rapidement dans la misère, il est obligé de se retirer de la vie publique. Au cours de l’année 1887, Henry Dunant, grâce à l’aide financière de quelques fidèles amis, se retire dans sa Suisse natale. Pas à Genève, mais à Heiden, une petite ville alémanique du canton d’Appenzell. Employé dans l’hôpital alors dirigé par un ami de longue date, le docteur Hermann Altherr, il va y rédiger ses mémoires. En reconnaissance de son œuvre passée, Henry Dunant reçoit en 1901 le premier Prix Nobel de la Paix ! Il décède, neuf ans plus tard, dans ce même hôpital de Heiden, le 30 octobre 1910 à l’âge de 82 ans. Inhumé dans la plus stricte intimité au cimetière de Zurich, il laisse derrière lui une merveilleuse organisation humanitaire.

En l’an de grâce 2023, le Comité International de la Croix-Rouge soutient – depuis son siège Genevois – l’action humanitaire de 80 délégations dans le monde. Le CICR joue également un rôle de promoteur et de défenseur du droit international humanitaire, en liaison avec les instances gouvernementales de ses pays membres et nombreux partenaires au plan mondial.

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Sources : Dunant Jean-Henry, « Un souvenir de Solférino » – Genève 1862 – Claude Schurer « Compagnie genevoise des colonies suisses de Sétif » et le Musée protestant.

Crédit photos : Croix-Rouge et Wikipédia